Le roman dépeint la vie d’un petit village du sud de la France autour d’une rencontre entre un vieux professeur et un soldat. Il nous plonge dans les années 20, dans ce qu’on appelle aujourd’hui les Alpes-de-Haute-Provence (et qu’on appelait jadis les Basses Alpes), près du village de Champtercier. À la frontière du village se trouve le Bois des amoureux, le territoire sacré de l’enfance, que le romancier nous convie à arpenter de nouveau, au-delà du temps enfui.
[…]Le fils Quelian était aussi affable que son père. Il aurait pu faire gendarme mais c’était un gros ambitieux. Après avoir passé son brevet grâce au dévouement de Mlle Terembron, il était parti à Digne, un peu comme Rastignac. Il avait acheté un fiacre. Il promenait les estivants entre le kiosque à musique du pré de foire, sur lequel le maire, le Dr Romieux, avait accroché une pancarte ainsi rédigée : « Petits enfants, n’abîmez pas les fleurs », et la cathédrale Notre-Dame-du-Bourg. Il faisait visiter la crypte qui contenait trois momies. Je n’ai jamais rien vu de plus moche : des bouts de cuir noir embrouillés les uns dans les autres et quelques ossements, des clavicules, deux ou trois fémurs. Au premier coup d’œil, on voit que ces malheureux étaient des Bas-Alpins. La théorie des caractères innés n’est pas bête. Les savants pensent que ces momies avaient été jadis des hérétiques suppliciés par les colonnes infernales d’un roi. Après la Deuxième Guerre mondiale, la municipalité a eu la bonne idée de les nettoyer. Elles ont rajeuni de cent ans.
Dans les années 1930, notre ville était prospère. Les rues étaient pleines de femmes vêtues de mousselines et de satins. Ces belles personnes bruissaient. Elles portaient des grands chapeaux et des fourrures, du renard argenté si possible, et elles achetaient des quantités de poudre de riz dans la boutique Coryse Salomé, boulevard Victor-Hugo. Digne, qui était passée bêtement à côté de la Belle Époque, avant la Première Guerre mondiale, rattrapait le temps perdu. Elle abordait sa « belle époque » avec vingt ans de retard et une guerre mondiale en plus, mais elle le faisait avec énergie, avec faste. […]