Manière noire tient à la fois du suspense psychologique et du roman policier. Barthélémy Dussert, inspecteur à la PJ, est chargé de rouvrir le dossier d’un terroriste que l’on croyait mort. La personnalité du tueur, Maghin, se révèle à travers l’enquête; c’est un esthète. De même, Barthélemy Dussert n’est pas un inspecteur traditionnel; mélancolique, il médite les vers d’un poète anglais mort en 1918. La traque le mène de Bruxelles à Prague en passant par Charleroi. Ici, nous sommes à Gosselies, dans la banlieue de Charleroi.
(Y a-t-il ou y a-t-il eu un kiosque à musique à Gosselies ?)
[…] « J’ai fait venir une ambulance tout de suite, poursuivit Sébastien. Depuis, j’avoue que je n’ai pris aucune nouvelle. »
Comment le lui reprocher ? Moi-même, je savais déjà que je n’en ferais rien.
« De toute façon, il y a longtemps qu’elle est morte, murmura-t-il. Et c’est lui qui l’a tuée. »
Je m’abstins de tout commentaire.
« Malgré tout, la descente a été payante, fit-il. – Ah oui ?
– Outre qu’on a enfin récupéré les papiers originaux, dans la chambre, la fouille du jardin nous a permis de mettre la main sur le gros lot. J’ai déjà prévenu ton copain tchèque.
– Quelque chose d’intéressant ?
– Plutôt. Dans le jardin, tu as sûrement remarqué ce vieux kiosque à musique.
– Rien vu de tel, dis-je. Je me souviens bien d’une tonnelle, au bout d’une allée de cendrée rouge. Mais en fait, je n’ai jamais visité le jardin. Il faut dire qu’il pleuvait.
– On ne le voit que si on se penche à la fenêtre du salon.
– Sans doute. Mais encore?
– Depuis le début du mois, il a beaucoup plu. Derrière la maison, la pelouse ressemblait à une véritable pataugeoire. En y baladant le rayon de sa torche, un inspecteur a découvert une sorte de piste boueuse entre le mur du fond et le kiosque en question. Par ce temps, l’herbe ne tient pas bien, et ça lui a donné des idées. Il lui a suffi d’examiner la base du kiosque pour découvrir trois planches qui tenaient à peine. Il les a fait sauter au pied-de-biche.
– Et?
– Voilà ce qu’il a trouvé! »
Il attrapa son porte-documents qui traînait sous la table et en sortit une grande photographie brillante. Sur un fond de planches cassées, dans la lumière crue des flashes, on distinguait une vingtaine de paquets rectangulaires. […]
[…] Dans ces papiers, aucun article de journal, aucun courrier récent ni, de manière plus générale, le moindre souvenir personnel lié aux dernières années qui venaient de s’écouler. Preuve s’il en fallait que dans cette maison l’Histoire s’était arrêtée depuis longtemps. N’y demeuraient plus que les dérisoires vestiges d’une vie passée tout entière dans l’attente, sans même compter les jours.
C’était fini, maintenant. Mme Maghin était morte à l’hôpital.
Après le premier choc, j’avais fini par comprendre que c’était cela, ce qu’elle avait attendu depuis tant d’années. Elle n’avait donc pu m’en vouloir. Je n’avais été que le messager.
Je gagnai le fond du salon. Sébastien avait raison. En se penchant à la fenêtre, on apercevait le kiosque à musique au fond du jardin. Souvenir d’un lointain âge d’or, il se situait maintenant à cheval sur deux parcelles de terrain. Ce quartier de Gosselies rêvait encore à son passé. A un siècle de distance, j’imaginais un orphéon jouant du Strauss pour les danseurs immaculés, semés par couples sur les pelouses d’un grand parc. A l’époque, cela avait dû jeter beaucoup de blancheur dans un pays noir, aux horizons hérissés de cheminées et de terrils. Puis un jour, l’orchestre avait remisé ses violons. La richesse s’était enfuie vers des cieux plus cléments, et les jardiniers avec elle. Les hautes herbes envahissaient les allées. […]